« Mais quelle Comédie ! est un spectacle musical festif construit autour des artistes qui constituent aujourd’hui la Troupe. Un moment de partage autour de notre histoire, de notre art, de notre amour du théâtre et de la musique, précisent Serge Bagdassarian et Marina Hands.
Nous l’avons rêvé dans la continuité de La Comédie continue !, notre WebTV créée lors du confinement. Au-delà de la richesse de notre Répertoire et de la multiplicité de nos aventures théâtrales, se sont révélés à cette occasion nos souvenirs, nos petits mondes intérieurs, nos histoires d’enfants et de futurs acteurs, nos désirs, nos frustrations, nos achèvements et nos crashs… Nos rituels, notre appétit commun. Un peu comme si la Comédie-Française s’était regardée dans le miroir à travers les lentilles électroniques de nos tablettes, téléphones mobiles et ordinateurs. C’est précisément ce que nous voulons retrouver sur la scène de la Salle Richelieu. Entendre les acteurs dans l’évocation Simul et Singulis de leurs vies d’artistes.
Nous avons pensé ce spectacle en numéros d’ensembles chorégraphiés et en duos ou solos avec des chansons, des textes ou des témoignages empruntés au répertoire que nous aimons. »
Notre avis : Ce spectacle a été pensé pour redonner le sourire, pour célébrer joyeusement la réunion de la Troupe de la Comédie-Française, qui, comme beaucoup d’artistes, s’est retrouvée trop longtemps privée de son mode d’expression, et d’un public en manque de vibrations et avide de renouer avec des sensations vitales. Objectif pleinement atteint !
Conçu comme une mise en abyme, Mais quelle Comédie ! met en scène une galerie de comédiens du Français tels qu’ils sont, ensemble au service de l’art et chacun avec sa personnalité, ses forces, ses envies et ses fragilités. Le jeune premier postule pour intégrer la fameuse institution, le bon à tout faire de l’équipe depuis vingt-cinq ans aimerait plus de reconnaissance, le comique de la bande regrette qu’on ne lui ait jamais donné de tragédie à jouer, un autre fait part de ses angoisses à l’idée de mémoriser de longs textes, une autre encore, visiblement délaissée par son amant, s’échauffe la voix avant d’enchaîner trois représentations dans la même journée, tandis que sa collègue a du mal à concilier son agenda professionnel avec sa vie de famille… Et tous livrent des anecdotes truculentes et des témoignages touchants sur la Maison qui les accueille. En solo – mais les autres ne sont jamais loin – ou réunis dans des ensembles de taille variable, ils offrent près de deux heures d’un grand show à numéros qui puise ses formes dans le music-hall, la comédie musicale américaine, la chanson française, le cirque, le clown, le stand-up, le cabaret burlesque…
Le ton est donné dès le lever de rideau : une entrée en fanfare sur « Anything Goes » chanté et dansé à la façon de Broadway par toute la Troupe, à l’issue de laquelle Serge Bagdassarian, co-concepteur de la soirée et maître de cérémonie ubuesque, tient à préciser qu’il s’agissait là de ce qu’il y a de mieux dans le spectacle et que c’est pour cela qu’ils ont décidé de commencer avec ! Beaucoup d’autodérision donc. La reprise en décalé de standards sulfureux fait également mouche, comme faire chanter le « Cell Block Tango » de Chicago par des grandes héroïnes (potentiellement) meurtrières du théâtre classique, ou faire se trémousser maladroitement les mâles de la Troupe sur « Big Spender ».
Le rythme ne retombe jamais grâce aux sketches de transition. Entre plusieurs numéros franchement hilarants – Serge Bagdassarian, encore lui, en plein délire dans une reprise d’« Avant de nous dire adieu » accompagnée par un chœur antique ; un numéro de voyance dirigé avec beaucoup de sarcasme par l’irrésistible Monsieur Loyal de Noam Morgensztern, que l’on retrouve en pianiste dominateur accompagnant une Anne Kessler fluette et soumise pour un « Si, maman si » drôlement déformé –, la poésie, la grâce et la mélancolie trouvent également une place de choix : un « Mon truc en plumes » par une dompteuse de lucioles dans un tableau d’une beauté à couper le souffle, un « The Last Goodbye » glaçant qui vous prend aux tripes…
Devant tant de savoir-faire et de maîtrise, subjugué – par exemple – par l’évidence avec laquelle Salomé Benchimol s’empare diablement de « Avec son tra la la » ou par le trouble jeté par un Gaël Kamilindi travesti croonant un « I Go to Sleep » bouleversant, on est plus circonspect par certains choix dans la liste musicale. Sous prétexte de clins d’œil à des monuments d’outre-Atlantique, fallait-il pourtant oser au premier degré « Don’t Rain on My Parade » sans les qualités vocales d’une belteuse ou reconstituer la scène « Broadway Melody Ballet » de Chantons sous la pluie sans l’hypersensualité chorégraphique d’une Cyd Charisse – même si la suave Marina Hands, co-conceptrice de la soirée, ne démérite pas ? Surtout que les atouts et la spécificité du spectacle sont à goûter ailleurs, notamment dans la pertinence avec laquelle le répertoire d’un théâtre exigeant étiqueté Comédie-Française s’invite malicieusement dans cette atmosphère décontractée. Car on savoure sans retenue d’entendre « Hopelessly Devoted to You » après quelques répliques au lance-pierre des Damnés, des Contes du chat perché ou de Lucrèce Borgia – Elsa Lepoivre survoltée ! –, ou un bout de monologue d’Un tramway nommé Désir précédant un émouvant « Je veux mourir sur scène ».
Tout le travail technique est à louer : costumes étincelants, maquillages de luxe, scénographie fluide et grandiose… Et il faut souligner avant tout l’immense qualité de l’arrangement orchestral par Vincent Leterme et Benoît Urbain ainsi que du jeu des sept artistes musiciens présents sur scène, qui insufflent les couleurs et le swing indispensables à une ambiance de fête, jusqu’au final explosif qui nous invite à « toujours regarder la vie du bon côté ».
Un divertissement haut de gamme, vif, pétillant, drôle, intelligent, qui vient brillamment marquer nos radieuses retrouvailles avec toutes ces formes du spectacle vivant que nous aimons tant.