Here Lies Love

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Broadway Theatre – 1681 Broadway, New York.
Previews à partir du 17 juin 2023. Première le 20 juillet 2023. Dernière le 26 novembre 2023.
Plus d'informations sur le site du spectacle.

Il peut sem­bler curieux de voir à l’affiche une comédie musi­cale qui prenne pour sujet prin­ci­pal Imel­da Mar­cos, épouse du dix­ième prési­dent des Philip­pines, bien con­nue pour ses dépens­es extrav­a­gantes et ses mil­liers de paires de chaus­sures. Il y avait bien eu Eva Perón avant elle, et une œuvre qui avait mar­qué les années 70 avec sa chan­son « Don’t Cry For Me Argenti­na », un suc­cès mon­di­al. Mais même si Evi­ta n’était pas une sainte, elle avait réus­si à séduire son peu­ple grâce à ses œuvres car­i­ta­tives et à ses atten­tions fémin­istes. Par con­traste, Imel­da n’était rien de tout cela. Elle était née à Manille en 1929 dans une famille catholique aisée. À 18 ans, elle était couron­née reine de beauté au con­cours de la Rose de Tacloban, un titre con­fir­mé par la suite quand elle fut élue Miss Leyte puis Miss Philip­pines. En 1954, elle fit la con­nais­sance de son futur époux, Fer­di­nand Mar­cos, qui l’épousa onze jours plus tard.

©Bil­ly Bus­ta­mante, Matthew Mur­phy et Evan Zim­mer­man (2023)

Dès ce moment, elle man­i­fes­ta son sou­tien tout entier à celui qui allait devenir prési­dent en 1965 après une cam­pagne qu’elle mena solide­ment con­tre un ancien petit ami, Ninoy Aquino, lequel, devenu le leader de l’opposition, la fustigea qua­tre ans plus tard devant le Sénat dans un dis­cours, « Un Par­lement pour Imel­da », dans lequel il dénonça ses dépens­es exces­sives alors que le peu­ple vivait dans un état d’immense pau­vreté. Des émeutes ayant éclaté en 1970, le prési­dent Mar­cos décré­ta l’état d’urgence et, deux ans plus tard, imposa loi mar­tiale avant de dis­soudre le Con­grès et la Cour suprême. Par la même occa­sion, Aquino avait été arrêté et con­damné à sept ans de réclu­sion. Vic­time d’une crise car­diaque en 1980, il sera libéré pour se faire soign­er et con­damné à l’exil aux États-Unis. Mais le mes­sage est clair : il ne faut pas qu’il revi­enne ! Trois ans plus tard, apprenant que l’état de san­té de Mar­cos sem­blait déclin­er, il déci­da mal­gré tout de revenir à Manille. Il sera assas­s­iné à son arrivée. En 1986, Mar­cos s’était vu obligé par ses alliés de tenir une élec­tion. La veuve d’Aquino, Cory, se présen­ta con­tre lui, et les deux par­tis poli­tiques se déclarèrent vain­queur. Quand Mar­cos ten­ta de s’imposer, des émeutes éclatèrent. Au bout de qua­tre jours, les Mar­cos furent sauvés par les Marines améri­cains, et con­duits en exil à Hawaï.

©Bil­ly Bus­ta­mante, Matthew Mur­phy et Evan Zim­mer­man (2023)

Tels sont les vignettes, inspirées donc de l’his­toire réelle, qui con­stituent l’argument de cette comédie musi­cale imag­inée par David Byrne, l’ancien chef de file du groupe rock Talk­ing Heads, et exé­cutée sur tous les fronts avec beau­coup de mérites. Le fait que ce soit la pre­mière fois que les Philip­pins soient présen­tés dans un spec­ta­cle très per­son­nel propulse ce musi­cal au rang des nou­veautés remar­quables à Broadway.

Sur tous les plans tech­niques, le Broad­way The­atre, le seul théâtre sur l’avenue qui porte son nom, a été totale­ment trans­for­mé en dis­cothèque (une référence au Stu­dio 54, bien con­nu à New York et que Imel­da Mar­cos fréquen­tait assidû­ment lors de ses fréquents pas­sages). La sec­tion orchestre est main­tenant une piste de danse autour d’une plate­forme qui se déplace, s’allonge, se met en tra­vers, selon les besoins du spec­ta­cle. Le plateau sub­siste tel qu’il est, mais il est sou­vent le point de départ d’un moment théâ­tral qui se pour­suit jusqu’à l’autre côté de la salle avec les spec­ta­teurs, debout tout autour, se mêlant en quelque sorte à l’action. C’est du théâtre immer­sif au pre­mier degré.

Ceci d’ailleurs n’est pas le seul lieu de prédilec­tion des acteurs : ils se pro­duisent égale­ment sur une plate­forme sec­ondaire au niveau des mez­za­nines où les spec­ta­teurs qui ne souhait­ent pas rester debout pour la durée du spec­ta­cle trou­vent des fau­teuils, leur dis­po­si­tion épou­sant le con­tour de la salle de danse au-dessous d’eux.

C’est dans ce décor vibrant, sous des éclairages mul­ti­ples, nour­ri de pro­jec­tions don­nant leur reflet à l’actualité de chaque scène, que les actri­ces et acteurs por­tant une mul­ti­tude de très beaux cos­tumes, chaleureux et col­orés, retra­cent ces épisodes dans la vie des Mar­cos, réputés pour avoir détourné des cen­taines de mil­lions de pesos à leur pro­pre profit.

©Bil­ly Bus­ta­mante, Matthew Mur­phy et Evan Zim­mer­man (2023)

Ce n’est vrai­ment pas l’image d’un cou­ple de comédie musi­cale, c’est peut-être pourquoi Byrne, assisté de Fat­boy Slim et de Tom Gandey et José Luis Par­do, a don­né à cer­taines des chan­sons des tonal­ités d’opéra. D’autres, puis­sam­ment ryth­mées, invi­tent surtout à la danse. Dans l’ensemble, les chan­sons défi­lent à toute allure, se suc­cé­dant les unes après les autres sans pause réelle. Tout serait très posi­tif dans ce domaine si ces chan­sons présen­taient un intérêt quel­conque du point de vue musi­cal. Il n’y a pas par­mi elles des chan­sons clés du cal­i­bre de « Don’t Cry For Me Argenti­na » et si elles ne sont déjà pas mémorables sur le plan musi­cal, les paroles, pau­vres et d’une grande plat­i­tude, témoignent d’un ton peu fait pour intéresser.

©Bil­ly Bus­ta­mante, Matthew Mur­phy et Evan Zim­mer­man (2023)

Les acteurs, menés par Arielle Jacobs, plus séduisante que le per­son­nage qu’elle doit incar­n­er, José Llana sous les traits de Fer­di­nand Mar­cos, et Con­rad Ricamo­ra dans le rôle de Ninoy Aquino, sont fréquem­ment remar­quables dans leurs inter­pré­ta­tions, solide­ment ancrées dans des atti­tudes aisées à iden­ti­fi­er. Le reste de la dis­tri­b­u­tion, essen­tielle­ment une ving­taine d’excellents chanteurs et danseurs, donne beau­coup d’allant à la pro­duc­tion Mais la vedette de la pièce, du moins pour le moment, c’est Lea Salon­ga, inou­bli­able dans Miss Saigon et Flower Drum Song, qui, même si elle n’est pas en tête d’affiche, incar­ne la mère d’Aquino pour un engage­ment lim­ité à quelques représen­ta­tions jusqu’au 13 août. Grand nom du théâtre de Broad­way et philip­pine d’origine, elle donne au per­son­nage d’Aurora un relief très émou­vant dans l’une des rares chan­sons à sur­mon­ter les faib­less­es de la partition.

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