Notre avis : Vivace, séduisante, pleine d’enthousiasme, Sutton Foster est l’une de ces comédiennes dont la présence sur scène à Broadway suffit à provoquer un immense plaisir. Fréquemment mise en vedette ces dernières années dans des comédies musicales comme The Music Man, Anything Goes, Shrek, et récemment encore aux côtés de Josh Groban dans Sweeney Todd, elle est devenue une actrice que l’on a plaisir à revoir sur scène et à admirer. Sa présence dans Once Upon a Mattress est d’autant plus un pur délice que c’est là l’occasion pour elle de manifester son engouement personnel pour la comédie pure et simple qu’elle pousse au maximum.
La comédie musicale elle-même lui donne le ton : un conte fantaisiste, inspiré de La Princesse au petit pois de Hans Christian Andersen, dont l’action se situe au Moyen Âge dans un royaume de pure invention. C’est l’histoire de la princesse Winnipeg, candidate au mariage avec le prince Dauntless (« sans peur et sans reproche »), fils de la reine Aggravain, laquelle exaspère et irrite tous ceux qui l’entourent – d’où son nom –, et du roi Sextimus le Silencieux, muet de son état jusqu’à ce que « la souris dévore l’aigle » – un mauvais sort que lui a jeté une sorcière. Dans son désir de tout contrôler, la reine impose un « test de sérénité » à l’aspirante princesse : celui de dormir dans un lit fait de vingt matelas superposés sous lesquels est dissimulé un petit pois. Nous n’en dirons pas plus, mais c’est là le point de départ d’une œuvre déjantée, pleine de rebondissements, qui, souvent, semble s’inspirer des films des Marx Brothers par son élan et ses moments hors norme. Il faut le reconnaître : les spectateurs se laissent prendre au jeu et partagent l’enthousiasme des acteurs sur scène.
Créée en 1959 sur un livret de Jay Thompson, Marshall Barer (également auteur des paroles) et Dean Fuller et une musique de Mary Rodgers (la fille du compositeur Richard Rodgers), la pièce devait connaître un grand succès, grâce surtout à la prestation de la comédienne Carol Burnett, qui faisait là ses débuts à Broadway. Elle a été reprise par deux fois depuis sa création, en 1996 et en 2015, avec Sarah Jessica Parker et Jackie Hoffman respectivement en tête d’affiche. Cette nouvelle production, remodelée et modifiée pour le mieux par Amy Sherman-Palladino, est programmée, en principe, jusqu’à fin novembre.
Dans des décors lumineux dus à David Zinn, brillamment illuminés par Justin Townsend, les acteurs, qui portent tous des costumes colorés conçus par Andrea Hood, se donnent à cœur joie dans cette fantaisie pleine d’humour. Ana Gasteyer, dans le rôle d’ Aggravain, n’est pas sans évoquer la Reine irascible à laquelle se heurte Alice au pays des merveilles dans la version imaginée par Walt Disney, et dont les éclats de voix et éclaboussures vocales sont les traits de sa personnalité. Le Roi, incarné par David Patrick Kelly, fait penser à Harpo avec son humble attitude et ses mimiques silencieuses qui en disent long. Quant au Prince, joué à la perfection par Michael Urie, il est un imbécile heureux encore sous l’emprise de sa reine de mère et, semble-t-il, incapable de prendre des décisions pour lui-même, sauf celle de, finalement, épouser Winnifred.
À leurs côtés, d’autres acteurs, excellents dans des rôles secondaires, contribuent au déroulement de l’action. Parmi eux se distinguent particulièrement : Will Chase sous les traits de Sir Harry, chevalier d’une table plutôt carrée ; Nikki Renée Daniels dans le rôle de Lady Larken, dame de compagnie de la Reine, amoureuse et enceinte de Harry ; Daniel Breaker en bouffon animateur de la soirée ; et Brooks Ashmanskas en magicien. La mise en scène de Lear deBessonet et la chorégraphie de Lorin Latarro insufflent au spectacle son esprit parfois délirant et contribuent largement au plaisir que l’on a à voir cette comédie musicale.
Mais l’attrait principal de cette reprise, c’est bien sûr Sutton Foster, qui donne ici toute la mesure de ses propres talents de comédienne dans un rôle qui semble avoir été écrit spécifiquement pour elle. Grâce à elle, cette reprise dépasse, et de loin, toutes les versions de cette œuvre précédemment vues à Broadway et sert de prélude engageant à la nouvelle saison qui s’annonce.