Maurice Yvain (1891–1965), musicien touche-à-tout populaire de l’entre-deux-guerres, compose l’opérette Là-Haut en 1923, interprétée à sa création par Maurice Chevalier et sa compagne Yvonne Vallée. On y suit Évariste Chanterelle, fraîchement arrivé au paradis, observant du ciel sa femme devenir la proie d’un autre homme. Il décide de retourner sur terre pour la séduire à nouveau et l’emmener au ciel avec lui ; acceptera-t-elle ?
Dans la fosse, l’Orchestre des Frivolités Parisiennes, depuis sa création en 2012, spécialisé dans la redécouverte du répertoire lyrique français des XIXe et XXe siècles.
Notre avis : Voilà un titre évocateur pour célébrer les dix années d’existence des Frivolités Parisiennes. Car, avec Là-Haut, la joyeuse troupe habituée des (re)découvertes du répertoire léger nous transporte sur les cimes de leur art, jusqu’au paradis. On retrouve les qualités musicales et scéniques qui se sont affirmées au fil de toute une décennie marquée par L’Ambassadrice d’Auber, L’Elixir d’Hervé, Le Guitarrero d’Halévy, Un dîner avec Jacques, Paris chéri(es), Le Petit Duc, Gosse de riche, Le Petit Faust, Le Farfadet, Yes !… et, plus récemment, Mam’zelle Nitouche, Le Diable à Paris (paru en CD), Le Testament de la tante Caroline, Les Bains macabres, Normandie, Cole Porter in Paris, le concert Kinorama…
Tout est rondement mené, et à un train d’enfer, dans cette histoire abracadabrantesque d’aller-retour entre ciel et terre. Ce dandy d’Évariste Chanterelle, un brin narcissique, cynique et aux allures christiques, décède à l’âge de 33 ans. En arrivant au paradis, il sème une sacrée pagaille. Saint Pierre, visiblement au bout du rouleau dans sa chemise d’hôpital, cédant à une menace de grève, lui accorde la permission d’aller revoir sa femme soupçonnée d’infidélité. Et voilà notre anti-héros revenu sur terre pour reconquérir sa bien-aimée, accompagné d’un ange gardien qui ne va pas tarder à enfreindre les règles qu’il est censé faire appliquer. Bref, on baigne dans un joyeux foutoir… nourri par la musique de Maurice Yvain, invitation permanente à la danse et aux délicieuses harmonies, entre un swing de music-hall entraînant et des clins d’œil appuyés à Offenbach et au grand répertoire lyrique, et par les lyrics d’Albert Willemetz, particulièrement efficaces en jeux de mots, onomatopées et rimes désopilantes… sans oublier le savoir-faire de l’équipe de création pour glisser, comme il est d’usage, quelques références contemporaines à se gondoler. Et cette production de Là-haut, mise en scène par Pascal Neyron, prouve que cette opérette-bouffe de 1923 n’est en aucun cas ringarde, ni n’a perdu de sa fantaisie ou de son humour. Bien au contraire !
Sur scène, tous les artistes s’en donnent à cœur joie pour donner vie et folie à leurs personnages qui, disons-le, se révèlent vite tous (notablement) barrés. Diction, transitions entre parlé et chanté, projection de la voix, présence sur scène : toutes et tous n’appellent que des éloges. Et les chorégraphies ont ce qu’il faut de volontairement négligé pour faire monter encore d’un cran le degré dans l’humour. Richard Delestre (Cole Porter in Paris) imprime à son Frisotin, l’ange gardien zinzin, un tempo sans repos, comme branché à une pile électrique inusable, véritable ressort comique de la pièce et, quand il se pose, c’est pour « improviser » des vers langoureux à la manière de La Fontaine, de Paul Verlaine et de… – ne divulgâchons pas, rires assurés ! Mathieu Dubroca (Le Diable à Paris) semble n’avoir pas à se forcer pour être Évariste Chanterelle, tant il balade son imposante silhouette un rien dégingandée, son assurance de nanti et son chaud timbre de baryton avec un naturel confondant. Judith Fa en veuve pas toujours éplorée, Clarisse Dalles en frustrée du désir qui n’a pas dit son dernier mot, Jean-Baptiste Dumora en gardien du paradis manifestement dépassé par les événements, Olivier Podesta en amoureux violemment repoussé et un épatant quatuor d’anges délurés toujours prompts aux commérages (Stéphanie Guérin, Faustine De Monès, Mathilde Ortscheidt et Marion Vergez-Pascal) complètent une distribution de rêve. Et, bien sûr, l’indéfectible Orchestre des Frivoliltés Parisiennes sous la direction tourbillonnante de Nicolas Chesneau.
Pas question de révéler ici si ce trublion d’Évariste aura réussi à sauver sa femme des griffes de l’ignoble séducteur ni s’il aura pu remonter sans encombre là-haut. Pour le savoir, il suffit de se laisser porter par cette extravagante comédie musicale hilarante et pleine de rythme, de s’amuser, de rire et de danser sur son siège. Il y a pire comme épreuve divine !