Journal d’un disparu / L’Amour sorcier

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Opéra de Strasbourg – Les 15, 17, 22 et 24 mars 2022 à 20h, le 20 mars à 15h.
Théâtre de la Sinne, Mulhouse – Le 1er avril à 20h, le 3 avril à 15h.
Renseignements et réservations sur le site de l'Opéra national du Rhin.

Lorsque minu­it sonne, les gitanes se réu­nis­sent autour du feu pour lire le des­tin de leurs amours dans les arcanes du tarot. Par­mi elles, la ténébreuse Can­de­las est rongée par la jalousie et le cha­grin. Pour recon­quérir son amant per­du, elle a recours aux sor­tilèges ances­traux de son peu­ple et aux incan­ta­tions de la magie noire. De l’autre côté du monde, bien au-delà des Pyrénées et des Alpes, un paysan morave encore inno­cent tente en vain de résis­ter au charme mag­né­tique d’une jeune tsi­gane. Le sou­venir de leur pre­mière étreinte devient une obses­sion. Ses journées aux champs ne sont plus qu’une longue attente qui s’achève à la nuit tombée dans les bras de celle qu’il aime mais dont tout le vil­lage se méfie.
Écrits à la fin de la Pre­mière Guerre mon­di­ale de part et d’autre de l’Europe, les chants envoû­tants de L’Amour sor­ci­er (1915) et du Jour­nal d’un dis­paru (1921) témoignent des fan­tasmes qui entourent dans les arts la fig­ure de la gitane, amoureuse libre et pas­sion­née, for­cé­ment mys­térieuse et un peu magi­ci­enne. Le met­teur en scène améri­cain Daniel Fish les réu­nit dans un seul et même spec­ta­cle, avec la com­plic­ité du choré­graphe Manuel Liñán et d’Arthur Lavandi­er qui offre une nou­velle orches­tra­tion au cycle de Janáček.

Notre avis : Les Tsi­ganes sont à l’honneur un peu partout dans Stras­bourg. Décou­vrir leur cul­ture, réfléchir sur la façon dont le regard est porté sur eux, par­ticipent de l’intérêt de cette opéra­tion. En réu­nis­sant deux œuvres cour­tes en un seul pro­gramme, l’Opéra du Rhin per­met aux spec­ta­teurs de se plonger dans cet univers tan­tôt âpre, tan­tôt cha­toy­ant. Leoš Janáček et Manuel de Fal­la ont tous deux com­posé leurs œuvres à la même péri­ode. Si leurs musiques dif­fèrent, les rassem­bler ain­si prend tout son sens. Encore une ques­tion de regard.

Jour­nal d’un dis­paru / L’Amour sor­ci­er © Klara Beck

Celui du met­teur en scène new-yorkais Daniel Fish – qui fut récom­pen­sé par un Tony Award pour sa mise en scène de Okla­homa! en 2019 – est par­ti­c­ulière­ment tranché, provo­quant rejet ou forte adhé­sion. Nous pen­chons plutôt pour la sec­onde. L’idée prin­ci­pale, maline, est de pro­pos­er une mise en scène qua­si iden­tique pour les deux œuvres. L’attention du spec­ta­teur, qui com­prend vite le dis­posi­tif, s’en trou­ve immé­di­ate­ment tit­il­lée. Le piège serait de tomber dans le syn­drome du « jeu des sept erreurs » et de débus­quer chaque détail dif­férent. Mais nous en sommes loin, tant les par­tis pris sont forts et sem­blent partagés par toute l’équipe qui entoure le met­teur en scène. Ils con­traig­nent le spec­ta­teur d’aller au-delà et l’invitent à entr­er dans cet univers. Tout est tranché, tran­chant, dans la mise en scène.

Jour­nal d’un dis­paru / L’Amour sor­ci­er © Klara Beck

Trois couleurs agres­sives con­stituent la base du décor, des chais­es pour seuls élé­ments de décor, aucune envie d’entrer dans une illus­tra­tion des textes, mais la pos­si­bil­ité pour tout spec­ta­teur de ressen­tir avec inten­sité ce qui nous est mon­tré avec une cer­taine impé­tu­osité. Car Manuel Liñan et sa troupe de danseurs savent par­faite­ment provo­quer des sen­sa­tions con­trastées, aidés en cela par des cos­tumes évo­lu­tifs – la robe espag­nole et son châle ne sont pas oubliés, mais les danseurs les revê­tent à vue. Nous avons évo­qué les couleurs agres­sives du décor, les pro­jec­tions vidéo le sont tout autant : sans tran­si­tion, le plateau devient écran sur lequel des images d’un coq, qui sera mis à mort, vien­nent bru­talis­er le réc­it. Une déli­cieuse dichotomie s’installe entre cette bru­tal­ité et la direc­tion, très suave, de l’orchestre et des chœurs par Łukasz Borow­icz. Une réussite.

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