Quel film aimeriez-vous voir adapté en comédie musicale ?

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Le ciné­ma et la scène ont tou­jours été étroite­ment liés : on ne compte plus les films inspirés de pièces de théâtre – et l’in­verse existe aus­si. Et dans le domaine du musi­cal, les cas sont égale­ment nom­breux, et par­fois, les adap­ta­tions se font en deux temps. Par exem­ple, il y a quelques semaines sor­tait sur les écrans Cyra­no, un film musi­cal de Joe Wright avec Peter Din­klage (Game of Thrones), adap­té de la comédie musi­cale d’Er­i­ca Schmidt, elle-même inspirée de la pièce d’Ed­mond Ros­tand. Oui, Cyra­no en comédie musi­cale ! Rien que l’idée peut faire grin­cer des dents – d’ailleurs le film a fait un flop – mais, après tout… pourquoi pas ? Cela a, au moins, le mérite de faire réfléchir sur les rela­tions, sou­vent com­plex­es, entre la scène et le grand écran : qu’est-ce qui fait qu’une adap­ta­tion, dans un sens ou dans l’autre, est réussie ?

Pen­chons-nous sur l’adap­ta­tion d’un film en comédie musi­cale. Il y a eu de jolies réus­sites, à l’image du fameux Catch Me If You Can de Steven Spiel­berg, adap­té à Broad­way en 2011 dans une mise en scène de Jer­ry Mitchell (qui mon­tera par la suite On Your Feet! et Kinky Boots) ou encore de Bil­ly Elliot: the Musi­cal, sur une musique d’El­ton John et un livret de Lee Hall (égale­ment scé­nar­iste du film réal­isé par Stephen Daldry).

Qu’est-ce qui fait qu’un film pour­rait devenir une comédie musi­cale réussie ? Une réponse envis­age­able : la « dic­tature du scé­nario ». Une his­toire au ciné­ma est sans cesse remise sur le méti­er : la plu­part du temps elle est écrite, lue, relue, réécrite, mod­i­fiée, etc. Il est vrai que ce con­cept despo­tique ne fait pas l’u­na­nim­ité chez les cinéphiles les plus exigeants mais, si l’on con­state que beau­coup de comédies musi­cales – notam­ment les très grandes – ont le suc­cès qu’elles méri­tent grâce à un livret très abouti et bien ficelé – qui lui aus­si fait l’ob­jet de nom­breuses réécri­t­ures et révi­sions –, on regrette que tant d’autres, mal­gré beau­coup d’atouts, souf­frent d’une his­toire et d’une dra­maturgie qui mérit­eraient d’être peaufinées. On se dit alors que cer­tains créa­teurs de comédies musi­cales seraient bien inspirés de se soumet­tre à cette dic­tature du scé­nario. Car, sou­vent, ils se lais­sent aller en mis­ant sur la musique seule et, parce que le mot « musique » sem­ble domin­er dans « comédie musi­cale », ils ont ten­dance à nég­liger l’his­toire ou à imag­in­er déjà qu’elle sera dis­simulée der­rière une scéno­gra­phie impres­sion­nante. Qui ne s’est en effet jamais retrou­vé la mâchoire sous terre en assis­tant à un plaisant bal­let de décors, de cos­tumes et de lumières baigné de puis­santes voix belt et de points d’orgues tran­chants venus cam­ou­fler une trame insipide ?

Et si, pour arriv­er à soumet­tre les livrets des comédies musi­cales à la dic­tature du scé­nario, on par­tait de scé­nar­ios déjà exis­tants qui ont fait leurs preuves au cinéma ?

Voici huit films qui, selon moi, don­neraient d’in­téres­santes comédies musicales :

The Grand Budapest Hotel – Wes Anderson
Tout y est déjà … l’histoire, les per­son­nages, les décors, même les com­po­si­tions d’Alexandre Desplat… Il ne reste plus qu’à grif­fon­ner quelques paroles et le tour est joué. C’est évidem­ment une exagéra­tion, nous savons que pour obtenir un texte de qual­ité, le tour n’est jamais joué. Il n’en demeure pas moins vrai que l’adaptation serait intéres­sante. Il faut cepen­dant pren­dre garde : le charme du film passe résol­u­ment par le tra­vail de caméra ander­son­ien… et il sera peut-être dif­fi­cile de repro­duire cette magie sur scène. (Notre cri­tique du film.)

 

Intouch­ables – Olivi­er Nakache / Éric Toledano
Une adap­ta­tion qui, naturelle­ment, séduirait facile­ment des pro­duc­teurs, et le pub­lic serait prob­a­ble­ment au ren­dez-vous. Il sera néan­moins dif­fi­cile de repro­duire en chan­sons la spon­tanéité naturelle d’Omar Sy et de François Cluzet. Quoique…

 

Por­trait de la jeune fille en feu – Céline Sciamma
1770. Mar­i­anne est pein­tre et doit réalis­er le por­trait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quit­ter le cou­vent. Héloïse résiste à son des­tin d’épouse en refu­sant de pos­er. Mar­i­anne va devoir la pein­dre en secret. Intro­duite auprès d’elle en tant que dame de com­pag­nie, elle la regarde.

Cela ne fait aucun doute : de par ses longues robes épaiss­es et ses déco­ra­tions en bois mas­sif, l’époque dans laque­lle ce scé­nario se  développe fait fan­tas­mer. Par ailleurs, retran­scrire le charme d’un temps révolule ciné­ma muet dans Sin­gin’ in the Rain, l’indépendance des États-Unis dans Hamil­ton – est peut-être ce que les comédies musi­cales savent faire de mieux. Pourquoi ne pas adapter ce film en for­mat théâtre musi­cal intimiste, avec des tableaux, des bou­gies, un piano et une poignée d’actrices par­mi lesquels Mar­i­on Per­on­net (Le Malade imag­i­naire en la majeur) et Béa­trice Hennes (Berlin, V.I.O.L, Cie Les Atten­tives) dans les rôles prin­ci­paux. 

Do the Right Thing – Spike Lee
Là encore, le tra­vail est déjà presque accom­pli. Qui plus est, le film passe la majeure par­tie de son temps à décrire l’ambiance d’un quarti­er – par une suc­ces­sion de tableaux, ce qui fonc­tionne sou­vent bien sur scène – avant de con­clure sur un nœud dra­ma­tique intense qui se révèle sans qu’on le voie venir. Spike Lee avait aus­si bous­culé les codes en don­nant nais­sance à l’un des génériques les plus ryth­més du ciné­ma.

 

Frances Ha – Noah Baum­bach / Gre­ta Ger­wing (scé­nario)
Frances, la ving­taine bien entamée, enchaîne rêves et désil­lu­sions dans un New York qui ne fait que la pouss­er à « devenir adulte ». Il s’avère que ce film – par son réc­it, ses dia­logues et son grain noir et blanc – est d’abord des­tiné à des amoureux de ciné­ma. C’est pourquoi l’adap­ta­tion musi­cale – on aurait pu imag­in­er un Jonathan Lar­son (Rent) à la com­po­si­tion… – séduirait prob­a­ble­ment seuls les amoureux du genre.

Minu­it à Paris – Woody Allen
Dans le film, les deux per­son­nages prin­ci­paux tombent amoureux bien qu’ils n’existent pas dans la même tem­po­ral­ité, et nous imag­i­nons que – par sa maîtrise des orches­tra­tions, des jeux de lumière et des décors mobiles – le genre musi­cal saurait don­ner une dimen­sion encore plus roman­tique à cette histoire.

On peut l’admettre : ce n’est pas le film au scé­nario le plus tra­vail­lé de la liste, mais il est si sub­tile­ment poé­tique que selon nous, il y aurait un intérêt à essay­er. On s’en remet­tra à la sub­jec­tiv­ité de cha­cun. Néan­moins, deux défis majeurs se dresseraient : 

1/ Réc­on­cili­er Woody Allen avec Broadway.

En 2014, l’auteur-réalisateur avait adap­té en comédie musi­cale son pro­pre film Bul­lets Over Broad­way sur les planch­es du St James The­atre. Après des cri­tiques peu ent­hou­si­astes et un suc­cès mit­igé au box-office, le rideau était tombé défini­tive­ment qua­tre mois après la pre­mière. Woody Allen avait déclaré en avoir fini avec Broad­way. 

2/ Réc­on­cili­er les pro­duc­teurs avec Woody Allen.

En 2019, alors que le mou­ve­ment #metoo bat­tait son plein dans les médias, Ama­zon Stu­dio avait refusé de dif­fuser le film Un jour de pluie à New York sur sa plate-forme. Le stu­dio était pour­tant le prin­ci­pal pro­duc­teur de l’œuvre. On peut donc imag­in­er que la recherche de finance­ments pour un pro­jet d’adaptation d’une œuvre de Woody Allen deviendrait rapi­de­ment un défi insurmontable.

Hugo Cabret Mar­tin Scorsese
Une quête famil­iale. Une époque fan­tas­mée. Les débuts du cinéma.
En dehors du prob­lème d’ac­qui­si­tion des droits, cet ovni de Scors­ese serait un jeu d’enfant à adapter sur scène – même si le sujet est déjà un peu traité dans la sub­lime pièce de théâtre Le Cer­cle des illu­sion­nistes d’Alexis Michalik.

Le Fab­uleux Des­tin d’Amélie Poulain Jean-Pierre Jeunet
Oui, cela a déjà été fait. Hélas, mal­gré des efforts hon­or­ables, le résul­tat fut peu con­va­in­cant. Qui peut pré­ten­dre pou­voir repro­duire ce dia­mant sur scène ? La ques­tion est peut-être vouée à rester rhé­torique… même si nous seri­ons curieux de voir des Français s’y attel­er. Ne serait-ce que pour réc­on­cili­er Jean-Pierre Jeunet avec le genre : « J’ai absol­u­ment hor­reur des comédies musi­cales et je hais Broad­way. Je con­sid­ère que c’est l’in­car­na­tion même de la ringardise. » Pour être juste, rap­pelons qu’il a ven­du les droits d’Amélie pour financer une asso­ci­a­tion de chirurgie car­diaque. Quand des vies sont sauvées, Broad­way peut essuy­er des critiques.

Si les livrets des comédies musi­cales étaient sys­té­ma­tique­ment l’ob­jet d’une atten­tion aus­si minu­tieuse que la musique, la danse ou la scéno­gra­phie, on nous épargn­erait une défer­lante de pièces mal­adroites. Rien de révo­lu­tion­naire dans ce con­stat… sim­ple­ment une idée qui vaut peut-être la peine d’être rap­pelée avant de se pré­cip­iter à sat­ur­er des portées de doubles-croches.

 

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